Welcome to Blue Planet

 



Blue Planet (BP) se présente, dans sa première édition, sous la forme d’un gros pavé de 350 pages à la couverture énigmatique mais néanmoins superbe. A l’intérieur la mise en page et l’écriture sont agréables mais l’ensemble manque malheureusement d’illustrations. Les premiers deux-tiers de l’ouvrage sont consacrés à une description fouillée du background tandis que le tiers restant aborde l’équipement et le système de jeu. En ce qui concerne la seconde édition, elle cède à la mode AD&D et se décompose en deux ouvrages de 256 pages chacun : le Player's Guide et le Moderator's Handbook. Cependant cette réédition est loin d’être une simple opération marketing : elle intègre la première extension sortie pour BP, Island Archipelago (d’où le nombre plus important de pages), et le système de jeu a été entièrement révisé.

Le passage de la première édition vers la seconde édition ne présente que peu d’intérêt : le système de la première fonctionnait parfaitement en dépit des critiques qui lui ont été adressées et si les illustrations de la seconde édition sont plus nombreuses que dans la première, elles sont aussi moins belles, en particulier en ce qui concerne la couverture. Cette deuxième édition ne se justifie donc que pour ceux qui ne possèdent pas encore BP ou qui ne supportent pas le système de jeu de l’édition précédente.


 

On The Frontier

 

BP est un jeu cyberpunk au background atypique où l’atmosphère de violence urbaine, de combat contre un système imposé par l’omnipotence de méga-corporations cède la place à la découverte d’un monde vierge pour l’avenir duquel tous les espoirs sont permis, chacun ayant sa propre idée sur la manière de le façonner. Cette translation de la scène d’une Terre agonisante à une terre nouvelle permet d’échapper aux archétypes du genre et de conférer au jeu une atmosphère d’excitation constante et de mystère. Poséidon, la planète sur laquelle se déroule l’action est l’équivalent de l’Ouest américain au moment de la ruée vers l’or ; un monde vierge, encore largement méconnu et souvent hostile mais qui offre à chacun homme la promesse d’un nouvel avenir, la possibilité de se construire un meilleur avenir que celui autorisé sur Terre.

Les auteurs du jeu nous proposent le challenge suivant : si nous pouvions disposer d’un monde vierge, qu’en ferions-nous ? Reproduirions-nous les mêmes schémas que sur Terre (et les mêmes erreurs) ou au contraire, chercherions-nous à développer une nouvelle façon de vivre, en harmonie avec notre nouvel environnement. La force de BP c’est de poser la question de l’écologie sans jamais verser dans l’écologisme : seule la question est posée, la réponse appartenant à chaque joueur. Tous les personnages et toutes les philosophies sont possibles : de l’écoterroriste prêt à tuer des dizaines d’innocents pour protéger l’environnement de Poséidon en passant par le scientifique avide de découvertes qu’il pourra vendre à la corporation la plus offrant, du criminel désireux d’échapper à son passé sur Terre au GEO Marshal désireux de faire régner l’ordre et de protéger les intérêts des natifs.

 

Beyond The Frontier

 

La chronologie des événements de BP nous emmène de la fin des années 80 à l’année 2199 et pose immédiatement l’ambiance : BP est un jeu hard-science et s’adresse donc à un public averti. La description des découvertes technologiques est crédible et pointue, de même que la présentation de l’écosystème de Poséidon.

L’essentiel de la chronologie témoigne d’une mondialisation croissante avec les conséquences auxquelles on peut s’attendre. Certains événements demandent cependant de s’y arrêter : en 2075, alors que les progrès en matière d’exploration spatiale ont permis l’installation de colonies minières sur la Lune, Mars et les principaux astéroïdes de la ceinture, deux astronomes découvrent aux limites du Système Solaire un trou de ver de Lorentz. Une enquête plus approfondie sur cette singularité permet de découvrir qu’elle autorise le passage vers un autre système solaire, Lambda Serpentis, séparé de 35 années-lumières du nôtre. Le système solaire nouvellement découvert abrite une planète assez semblable à la Terre dans ses caractéristiques, à l’exception d’un volume océanique recouvrant 95% de sa surface, et son exploration met en évidence un écosystème riche, inexplicablement constitué d’ADN. Les questions soulevées par ce dernier point sont innombrables : pour certains scientifiques cela prouve que l’ADN est le seul support possible pour la vie alors que pour d’autres les chances que la vie se soit développée à partie d’une telle molécule sur une autre planète que la Terre sont infimes. Quoiqu’il en soit, l’UNSA (pour United Nations Space Agency) décide de l’envoi d’une mission de colonisation à destination de Lambda Serpentis II, la planète en question. Le coût de l’opération est faramineux. La mission de colonisation parvient le 3 janvier 2087 à se poser sur Lambda Serpentis II et commence les premières opérations d’établissement d’une colonie permanente. Les colons sont tous des scientifiques et ont tous subis des modifications génétiques afin d’être adaptés à la vie dans un environnement à dominante aquatique. Ils forment une nouvelle espèce distincte de l’humanité : les aqua-formes.

Pendant ce temps, sur Terre, une firme d’ingénierie génétique procède à des tests en milieu naturel d’un virus supposé s’attaquer à un parasite du riz. Le virus est un échec et s’attaque non pas au parasite comme prévu mais aux plants de riz eux-mêmes. Ne parvenant pas à enrayer sa propagation, la firme à l’origine du virus détruit tous les éléments le concernant en sa possession et nie toute responsabilité. L’extension du virus est foudroyante, d’autant plus que celui-ci mute rapidement pour s’attaquer à d’autres espèces de céréales que le riz. L’ONU crée une organisation spécifique, l’UNGEO (pour United Nations Global Ecology Organization) pour lutter contre le virus. Hélas, la souche initiale étant perdue, il faut près de 30 ans aux scientifiques pour trouver une parade. Dans le même temps plus de la moitié de la population terrestre a succombé à la famine et aux émeutes civiles qui l’ont accompagnée. Pendant sa lutte contre le virus l’UNGEO a progressivement drainé toutes les ressources des Nations-Unies pour finalement les absorber complètement et devenir le GEO. Quand en 2116 le virus est officiellement éradiqué, la situation sur Terre est catastrophique ; de nombreux pays sont en proie à l’anarchie et seuls ceux qui ont déposé les rennes du pouvoir entre les mains du GEO ou des grandes corporations (et ainsi former les états-corporatistes) ont survécu aux émeutes civiles. Dans les années qui suivent les autorités travaillent à la restauration de l’ordre sur Terre mais, au fur et à mesure que la situation s’améliore, certains pays commencent à contester l’autorité du GEO et demandent à récupérer leur souveraineté nationale.

Sur Lambda Serpentis II, que les colons baptisent Poséidon, le drame survient au moment de la seconde phase de la colonisation. Une seconde mission devait être envoyée pour donner les moyens à la colonie de survivre dans la durée mais les troubles liés au virus sur Terre provoquent son abandon. Les équipements technologiques tombent en panne les uns après les autres et, lorsque les colons constatent qu’ils ont été abandonnés, une grande vague de désespoir s’empare d’eux car Poséidon est une planète en proie à de violents cyclones, surtout entre les deux tropiques où se trouvent l’essentiel des terres émergées. Pourtant les colons décident d’essayer de survivre sans technologie, en adoptant un mode de vie proche de celui des tribus des îles du Pacifique. En 2165, alors que la situation sur Terre est enfin restaurée, une nouvelle mission est envoyée sur Poséidon et ses membres constatent que les colons ont survécu contre toute attente ; la population initiale des colons ayant cédé la place aux premiers natifs de Poséidon. Dans les années qui suivent seules quelques missions scientifiques sont envoyées sur Poséidon et celles-ci sont accueillies chaleureusement par les natifs. Elles s’intéressent à l’écosystème particulier de la planète et surtout aux aborigènes. Cette espèce s’apparente aux raies peuplant les eaux de la Terre à l’exception notable que ses membres semblent pourvus d’une forme d’intelligence. En 2185 un événement bouleverse l’avenir de Poséidon : la découverte des xéno-silices. Celles-ci possèdent la curieuse propriété de corriger l’information génétique lors de la mitose cellulaire (et permet ainsi de soigner le cancer) mais aussi et surtout d’empêcher le vieillissement de l’organisme. La découverte de la clé de l’immortalité entraîne une ruée vers l’or sur Poséidon pour l’exploitation des gisements de xéno-silices.

Telle est la situation sur Poséidon en 2199 : sa population est constituée pour l’essentiel des natifs, qui vivent en harmonie avec leur environnement au sein de petits villages disséminés sur toute la surface de la planète et considèrent pour la plupart l’immigration avec hostilité. Ils ne veulent pas que soient reproduites sur Poséidon les mêmes erreurs que sur Terre. Le reste de la population se décompose entre les colons qui viennent tenter leur chance dans ce nouveau monde et ainsi fuir une Terre à l’agonie, les corporations bien décidées à tirer profit au maximum des ressources de la planète et le GEO qui se pose comme l’ultime rempart entre l’écosystème de Poséidon et la culture native d’un côté et les corporations de l’autre. Le rôle d’arbitre qui est dévolu au GEO est conforté par le fait qu’il contrôle le trou de ver de Lorentz et possède donc la maîtrise des échanges ente les deux planètes. Enfin il faut rappeler l’existence des aborigènes qui semblent manifester une hostilité de plus en plus croissante à l’égard de la colonisation humaine sur Poséidon.

Ce – nécessairement – trop court résumé du background de BP permet cependant d’avoir un premier aperçu de la richesse du jeu et des innombrables possibilités qu’il offre ; il supporte en particulier une infinie variété d’interprétations et chacun peut y trouver un intérêt qui lui est propre.

 

A World Of Hurt

 

L’environnement de Poséidon est à l’honneur dans BP et de nombreuses pages lui sont consacrées. Divers écosystèmes particuliers sont présentés dans le détail et se révèlent à la fois crédibles et exotiques. Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant lorsque l’on sait que l’auteur du jeu est titulaire d’un doctorat en écologie. De même les problèmes soulevés par une planète dont la surface est composée à 95% d’eau sont abordés avec précision et clarté. Les communautés humaines ne sont pas en reste de ce luxe de détails et les modes de vie des natifs comme des colons sont bien décrits ; peut-être même trop en ce qui concerne les natifs car je connais peu de joueurs qui n’aient pas envie d’en jouer un après avoir entendu la présentation de leur société.

L’équipement est également longuement présentée – beaucoup trop pour certains. Cependant il ne consiste pas en un catalogue d’armement comme c’est souvent le cas dans les jeux cyberpunk mais en une description des technologies qui sont utilisées sur Poséidon. On trouve ainsi une présentation des interfaces de communication homme-machine, des systèmes d’alimentation en énergie, des technologies de l’information,  de différents modèles standards d’armement ou de véhicules, des modifications génétiques ou cybernétiques, etc. L’ensemble est présenté de manière générique, se sorte de pouvoir créer soit-même son matériel en le personnalisant au gré des corporations.

 

More Than Human

 

Le jeu propose de jouer pour l’essentiel des humains (qui peuvent être modifiés génétiquement dans une certaine mesure) ou des aqua-formes. Quelques espèces plus exotiques existent comme les cétacés (qui grâce aux progrès scientifiques ont accédé à une intelligence supérieure en 2042 pour les dauphins et les orques) ou les hybrides (humains hybridés par génie génétique avec le chat ou le singe dans le cadre de travaux militaires en 2065). Les règles de création de personnage sont réussies à l’exception du fait que les scores de caractéristiques soient quasi-identiques entre deux personnages d’une même espèce et que le joueur ne possède que peu d’influence sur leur détermination. La création d’un personnage se fait dans l’ordre chronologique de son existence et le joueur détermine en premier lieu son milieu de naissance, puis l’environnement de sa petite enfance, son éducation et enfin sa profession. Chaque étape apporte sa contribution à la construction du personnage et permet de le construire avec une certaine logique. L’étape la plus importante techniquement (en ce qui concerne le background et la psychologie du personnage toutes les étapes sont importantes) est le choix de la profession qui détermine selon un archétype rigide l’essentiel des compétences d’un personnage. Ce système laisse peu de libertés au joueur pour établir les scores de son simulacre mais il permet de générer un personnage cohérent et compétent.

L’une des conséquences de ce système est que les personnages sont loin d’être tous équivalents entre eux (en matière d’accession aux technologies de modifications génétiques ou cybernétiques par exemple ou plus simplement en matière de compétences) et que certains joueurs protestent de ce fait. Le cas échéant, il n’est pas très difficile de modifier ce système pour laisser une place plus grande place au joueur dans la détermination de son personnage en établissant, pourquoi pas, un système de points de création. Cependant un tel système ne rend pas compte des inégalités sociales dont on ne peut nier l’existence.

 

Game Mechanics

 

Les auteurs de BP avouent s’être davantage préoccupés du background du jeu que de son système et qu’ils ont pour celui-ci privilégié la fluidité à la technique. La lecture de la mécanique de jeu révèle pourtant un système travaillé où abondent les bonnes idées dot certaines nuisent malheureusement à la fluidité annoncée. La base est désormais classique : des caractéristiques – nombreuses (pas moins de 14 réparties également entre caractéristiques physiques et mentales) – et des compétences (celles-ci sont regroupées en aptitudes dont le score constitue la base pour toutes les compétences qui en découlent) ; tous les scores étant exprimés en pourcentage. Les caractéristiques influent dans une moindre mesure sur les compétences (de l’ordre de +/- 20%) et la réussite d’une action est déterminée par un jet sous la compétence appropriée, éventuellement modifié par un facteur de difficulté lié aux circonstances.

Les principales bonnes idées de ce système sont au nombre de 3 :

- L’état de santé n’est représenté ni par des points de vie ni par des niveaux de santé mais simplement par des blessures précises avec les conséquences physiologiques appropriées. Ainsi une balle reçue en pleine poitrine pourra, en fonction de la gravité de la blessure, s’être simplement logée dans la chair sans trop de dommages, avoir fracturé ou même brisé une côte, avoir transpercé un poumon, avoir touché la colonne vertébrale avec des conséquences diverses, etc. Dans BP on meurt donc soit d’une blessure aux conséquences létales soit au choc traumatique provoqué par l’accumulation des blessures et la perte de sang. Mais dans tous les cas  on meurt souvent car une des particularités du système c’est sa mortalité extrême qui traduit bien la létalité des armes à feu.

Ce tableau donne les conséquences d’un coup au crâne pour une blessure de niveau 2 ou 3 (il existe au total 5 niveaux de blessure)

 

- Armes et armures sont caractérisées respectivement par un degré de pénétration et par un degré d’amortissement. La règle est simple une armure dont le degré est supérieur à celui des munitions employées contre elle arrête les balles purement et simplement. Dans le cas un contraire elle absorbe selon un coefficient propre à chaque type d’armure une partie de l’énergie cinétique de la balle et réduit donc la blessure.

- Lors d’un round la capacité à agir est subordonnée à son temps de réaction et à sa rapidité d’exécution. Pour réalistes qu’elles soient ces deux notions nuisent beaucoup à la fluidité du jeu. La première implique la réussite d’un jet d’initiative avant de pouvoir intervenir dans une séquence de combat. En cas d’échec le jet est reconduit de rounds en rounds avec un bonus cumulatif. Un nouveau jet est nécessaire à chaque fois qu’un nouvel événement extérieur se produit pendant la séquence de combat et que le personnage veut en tenir compte. La seconde implique un décalage de rounds entre le moment où le personnage décide d’une action et le moment où il la réalise. Ainsi, face à quelqu’un de beaucoup plus rapide que lui, l’action entreprise par un personnage risque de ne plus être pertinente au moment de sa réalisation. Et chaque changement de décision implique d’attendre à nouveau que le temps d’exécution s’écoule pour que l’action se réalise.

 

En seconde édition le système de pourcentage à été abandonné au profit d’un système dénommé Synergy. Les caractéristiques ne sont plus que 8 et les compétences sont toujours réparties en aptitudes. Tous les scores sont désormais exprimés sur une échelle 10 à l’exception des aptitudes qui sont qualifiées de Average, Strong ou Superior. L’aptitude détermine le nombre de dés à lancer pour une action (1,2 ou 3) et le meilleur résultat obtenu est additionné au score de la compétence et à un bonus déterminé par le score de la caractéristique. Le résultat final est comparé avec un facteur de difficulté. Pour ceux qui connaissent le système Silhouette, le système Synergy est assez semblable. Ce nouveau système semble mieux convenir aux joueurs américains mais il n’est guère différent en pratique de celui proposé dans la première édition.

 

Reference

 

En conclusion , BP se détache du tout venant de la production des jeux cyberpunk par un background soigné, à l’image de Shadowrun, mais aussi et surtout par un univers original, complexe et crédible, conçu pour pouvoir évoluer dans une infinité de directions différentes en fonction des sources d’intérêts propres à chaque joueur. Enfin, c’est – dans sa première édition au moins – un produit déconnecté des contingences commerciales et écrit par des joueurs pour des joueurs. A ce titre le site Internet de BP est l’un des meilleurs du genre (http://www.biohazardgames.com), même si l’on peut regretter que le mini-supplément background et gratuit UnderCurrents soit édité de plus en plus rarement. Blue Planet est un jeu édité par Biohazard Games.

 

Blue Planet (1st edition) – ISBM: none / SKU: BZG3000

Player's Guide (2nd edition) - ISBN: 1-887911-04-7 / SKU: BP02

Moderator's Handbook (2nd edition) - ISBN: 1-887911-05-4 / SKU: BP01